Le Voyage Lyrique - Découverte de l'opéra

Le Voyage Lyrique - Découverte de  l'opéra

Visions de l'Orient à l'Opéra

La relation entre Occident et Proche-Orient a toujours été complexe. Ces peuples fascinent les Occidentaux autant qu’ils les inquiètent. L'Orient représente un peu un mélange de danger et de promesse de sensualité débridée : ce sont des Ottomans menaçants, des barbaresques qui écument les mers, de cruels sultans sanguinaires mais aussi les fééries de Shéhérazade, et les mystères des femmes des sérails consacrées avant tout au plaisir des hommes. 

 

L’Orient, c’est à l’opéra à la fois tout le monde musulman, mais aussi par extension, tout le pourtour méditerranéen pré-chrétien et pré-islamique… C’est à la fois le sultan turc, le bédouin du désert et Hérodiade !

 

Cet article a pour but de vous donner un aperçu de la diversité des oeuvres lyrique en rapport avec la thématique du Proche-Orient. Inde et Extrême-Orient seront analysés séparément : seuls les mondes islamiques et le pourtour méditerranéen nous intéresseront ici. 

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La découverte de l’Orient a commencé avec les croisades, continuera avec François 1er qui signa un accord diplomatique avec Soliman le Magnifique contre Charles Quint… jusqu’à l’alliance des Ottomans avec Louis XIV qui les amènera aux portes de Vienne…

Sur le plan artistique, les « Turqueries » deviennent alors progressivement à la mode, avec comme thème central, celui du harem et des enlèvements de  chrétiens, avec le Turc à la fois cruel et ridicule dont l’emblème restera le Osmin de l’Enlèvement au Sérail. Cet Orient est alors encore bien bouffon… 

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Alors qu’au XVIIIe siècle, la philosophie des Lumières se met à prôner tolérance et ouverture à l’Autre (déjà), que Bonaparte et ses savants rapportent d’Egypte des images qui font fantasmer, le courant orientaliste se développe progressivement, s’épanouissant vers 1830 dans tous les arts. Savants, intellectuels et artistes font désormais tous leur voyage en «Orient» (en gros : Afrique du Nord, Egypte et l'actuel Israël), rapportant croquis ou souvenirs sonores.

Mais qui sont les voyageurs de cette époque ? Des romantiques bien sûr ! La vision de l’Orient qu’il rapporteront sera donc un peu imaginaire : cet Orient se fait à la fois mystérieux, sensuel, dangereux, violent et voluptueux… sans parler de ces femmes inaccessibles qui font naitre tous les fantasmes. C’est l’Orient des poèmes de Victor Hugo, des récits de voyage de Nerval et de Lamartine, des tableaux d’Ingres et de Delacroix…

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Cette image perdurera longtemps, jusqu’au début du XXème siècle, dans des œuvres sulfureuses telles que la Thaïs de Massenet, ou la Salomé de Richard Strauss.

 

La musique "orientale"

Et généralement, toute musique « orientale » sera presque systématiquement associée dans l’esprit des Occidentaux à sa sensualité, et une sensualité plus ou moins débridée.

Globalement, les compositeurs se contenteront généralement d’une «évocation » (par l’utilisation de la gamme à double seconde augmentée, dite orientale, hongroise ou tzigane, même si certains, comme Verdi ou Saint-Saëns, prendront également leurs renseignements concernant les musiques turques et arabes, en les « transposant » dans leurs grandes lignes dans le système tonal.

 

Des relations conflictuelles... entre civilisations, et entre hommes et femmes

Notons également que lorsque l’on évoque l’Orient à l’opéra, cela sera presque toujours sous la forme d’un conflit : entre deux cultures, civilisations et presque toujours insoluble, que ce soit entre chrétiens et musulmans, ou entre judéo-chrétiens et païens.

 

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C’est sur le rapport aux femmes que se cristallise d’ailleurs ce conflit : la femme orientale est soit représentée comme prisonnière, soit d’une sensualité exacerbée… les deux étant parfois liés d’ailleurs. (L’homme oriental, lui, présenté comme violent et toujours un peu libidineux n’est pas en reste non plus au passage…)

Dans les Turqueries, ce qui marque le plus, c’est l’opposition entre liberté des femmes et oppression que leur font subir les musulmans, surtout au XVIIIe siècle d’ailleurs car cette problématique intéresse moins les compositeurs du XIXe, plus fascinés par l’exotisme de ces femmes mystérieuses… leur Orient à eux est d’ailleurs plutôt pré-islamique… toute histoire de l’Antiquité, étant considérée comme « orientale » avec la musique qui va avec.

De Thaïs à Salomé, les femmes en deviennent dangereuses. C’est l’opposition entre le monde païen dévergondé, et le monde chrétien plus austère.

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La confrontation entre chrétiens et musulmans.  

L’Orient des croisades et de l’expansion ottomane

 

Les sujets d’opéra en lien avec les conflits militaires ayant opposé musulmans et chrétiens sont assez nombreux, même s’ils donnent rarement prétexte à une musique « orientalisante ». Ils donnent lieu souvent en prime à des amours généralement impossibles entre chrétiens et « mahométans ».

En voici quelques exemples :

 

Le Combat de Tancrède et Clorinde (1624) de Claudio Monteverdi (1567-1643)

Il reprend un extrait de La Jérusalem délivrée du poète italien le Tasse.

Le narrateur raconte le combat de Tancrède, preux chevalier, contre Clorinde, une belle musulmane dont il est amoureux, déguisée en soldat. Tancrède, après un duel acharné, la transperce de son épée. Son dernier souffle exprime sa nouvelle foi dans le dieu chrétien et elle pardonne à son agresseur. Il la reconnaît, devient ivre de douleur. Elle expire, apaisée.

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Maometto secondo de Rossini (1820)

L’action se déroule dans les années 1470 pendant que les Turcs et les Vénitiens se font la guerre. L'intrigue repose sur le choix cornélien de l'héroïne entre son amour pour Maometto, le chef des Turcs qui envahissent son pays, et son devoir patriotique.

 

Tancrède de Rossini (1813)

À Syracuse, pendant l'invasion des Sarrasins. Tancrède a été banni de la ville mais Amenaïde l'aime et lui envoie une lettre pour lui demander de revenir déguisé. La lettre ne porte pas le nom du destinataire. La lettre est interceptée et Amenaïde est jetée en prison, car on pense qu’elle était destinée au chef sarrasin… Deux fins, l’une triste et l’autre joyeuse sont prévues, en fonction des goûts du public !

 

I Lombardi alla prima crociata, Giuseppe Verdi, 1843.

L’histoire se situe à Milan et Antioche, met en scène, notamment, les amours difficiles du prince musulman Oronte et d’une prisonnière chrétienne, Giselda, sur fond de première croisade… Oronte finira par se convertir au christianisme avant de mourir.



 

La Zaïra (1829) de Vincenzo Bellini (1801-1835)

À l’époque des Croisades, dans Jérusalem reprise aux Français par le sultan Saladin, vainqueur des chevaliers du Temple, le sultan Orosmane ne souhaite pas revoir les chrétiens en Terre Sainte, en particulier le comte de Lusignan. Malgré l'avis contraire du vizir Corasmino, le sultan aime Zaïre, captive française. Déchiré par sa passion impossible, comment concilier désir et devoir, comment épouser une chrétienne, lui qui est musulman ? Au comble d'une lucidité angoissée, le sultan tue Zaïre et se tue après. 

Voici le final, si vous êtes curieux :


 

Evoquons également au passage, à la même période :

Les Abencérages, ou L’Étendard de Grenade, Luigi Cherubini, (1813).

L’esule di Granata de Meyerbeer (1822)

Les deux œuvres décrient les rivalités entre les Abencérages et les Zégris, deux tribus maures dont les querelles contribuèrent à la chute du royaume de Grenade (1238-1492).

 

Les turqueries

Sur fond de piraterie barbaresque et d'esclavage d'Européens en terre d'islam, les Turqueries sont à la mode aux XVIIe et XVIIIe… Il s’agit aussi d’exorciser la peur du Turc en le ridiculisant. (1683 c’est le siège de Vienne.)

Il faut avouer que dès Louis XIV, il est donc présenté comme plutôt risible. En témoigne la « comédie ballet » de Lully et Molière, où Mr Jourdain invite chez lui un « Grand Turc »… avec la marche qui va avec. Ce n’est pas sans ironie que Molière évoque le Grand Mamamouchi.

Commençons donc par un petit clin d’œil à Jean-Baptiste Lully (1632-1687) avec sa Marche pour la cérémonie des Turcs (Le Bourgeois gentilhomme)

(Notons au passage, que le terme « Turc » désigne l’Ottoman (le pacha, le bassa), mais par extension, tous les musulmans du pourtour méditerranéen)

 

Le sérail et ses intrigues avec ses femmes fabuleuses, ses eunuques ou ses féroces gardiens deviendra le sujet de prédilection de ces « turqueries ». Les sujets évoquent souvent des chrétiennes et chrétiens enlevés, mais sur un ton léger, avec une histoire qui finit forcément bien, le Turc cruel étant finalement berné.

Ex : Gazzaniga, Il seraglio di Osmano (1784)

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Mais comment « faire turc » ? "Alla Turca" ! 
Nous connaissons tous la fameuse « marche turque » de Mozart… qui, malgré son charme, n’a pas grand-chose de turc. Elle est simplement très rythmée. Cela suffit largement… Personne n’avait la prétention de réellement faire entendre de la vraie musique turque !


Les compositeurs opéras utilisaient tout simplement la musique du dramma giocoso italien de l’époque à laquelle on ajoute la fameuse « musique des janissaires » « Alla Turca » seul élément de stylisation permettant de faire « couleur locale » et exotique.

Il s’agit simplement de signifier par la musique que le monde dans lequel le spectateur entre n’est pas celui de son quotidien…

Comment produire de la musique orientale avec des instruments occidentaux, ou, en d’autres termes, comment faire semblant de jouer de la musique orientale sans instruments orientaux et parvenir à convaincre le public de se laisser prendre à la note ? Tout simplement alors, par l’emploi du triangle et les recours nombreux aux percussions qui dénotent un exotisme à l’égard de l’harmonie de la musique européenne classique. La musique « Alla Turca » employait donc souvent triangle, chapeau chinois, cymbales, tambour et grosse caisse.


 

Notons d’ailleurs au passage, que pendant longtemps dans la musique occidentale l’usage excessif de percussions et de rythmes très marqués, était toujours associé à la violence et à la barbarie… (mais la barbarie s'est apparemment banalisée si l'on en croit les goûts musicaux de nos contemporains qui y trouvent une certaine fascination...)

On retrouve le même procédé dans Iphigénie en Tauride de Gluck.


D’un point de vue visuel, les décors étaient souvent néoclassiques avec quelques éléments de stylisation (minets, arcades, décoration) pour créer une  atmosphère orientale.

 

 

L'Enlèvement au sérail – Die Entführung aus dem Serail (1782)

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)

 

La plus célèbre des turqueries sera bien sûr l’opéra de Mozart… même si, sous l’influence des Lumières, l’opposition entre gentils chrétiens et méchants Turcs est plus nuancée et il y a une opposition entre le Turc comique, libidineux, bête et violent (Osmin) / et le Turc éclairé (Selim). Le bassa Selim, victime lui-même des chrétiens dans le passé, donne à la fin des leçons de morale, de compassion et de pardon. Mozart, qui n’apprécie guère l’Eglise telle qu’elle se présente à son époque à Vienne, veut ainsi montrer que les chrétiens n’ont pas le « monopole du cœur ».

L'opéra raconte la tentative par le noble Belmonte d'enlever sa fiancée Konstanze, retenue prisonnière dans le palais du pacha turc Selim, de même que sa servante, Blonde « offerte » au féroce gardien du Sérail, Osmin.

Mais Blonde est une Anglaise, ce qui veut dire dans l’esprit de Mozart, particulièrement amoureuse de liberté, et elle ne se laissera pas traiter comme une esclave… Selim et Osmin auront bien du mal avec ces deux femmes…

 

 

Au passage, si le ton de l’Enlèvement au Sérail, premier grand opéra allemand, Singspiel, de l’histoire, est globalement léger, Mozart avait eu un premier projet sur le même thème, « Zaïde » (1779) resté inachevé, d’une tonalité autrement plus sombre.

Zaïde, esclave chrétienne du sultan Soliman, tombe amoureuse de Gomatz, un autre esclave chrétien, ce qui provoque la jalousie et la colère du sultan. Ils s'enfuient avec l'aide du serviteur Allazim, mais tous trois sont repris, notamment à cause d'Osmin, autre serviteur du sultan. Les évadés sont condamnés à mort. Mais Allazim a sauvé la vie du Sultan quinze ans plus tôt. Le Sultan le reconnaît et le gracie. Allazim intervient alors en faveur de ses compagnons et l'opéra s'arrête là sans qu'on connaisse la décision finale du sultan.

 

Les turqueries de Rossini

Le sujet reste à la mode au début du XIXe siècle.

Deux opéras de Rossini abordent ce sujet.

 

L’Italienne à Alger (1813), Rossini

Ce chef d’œuvre d’opera buffa reprend également sur un ton léger, le thème de la captivité avec toute l’ambiguïté érotique que cela implique une fois encore.

Cette fois-ci, contrairement à l’intrigue de l’Enlèvement au Sérail, c’est une femme, la belle Isabella, qui décide d’aller sauver son fiancé, prisonnier du Bey d’Alger. Mais son bateau fait naufrage et elle-même faite prisonnière par les barbaresques… Ils sont contents de leur prise car le Bey, las de sa femme, a demandé à ce qu’on lui trouve une belle Italienne.

Mais il ne se doute pas alors que la belle Italienne va le faire tourner en bourrique.

 

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Le Turc en Italie (1814), Rossini

Un riche Turc, Selim, est aimé à la fois de Zaida, une bohémienne jalouse, et de Fiorilla, une Italienne capricieuse.

La visite de Turcs en Europe est aussi un sujet à la mode, même si cet ultime exemple, n’aura pas le succès escompté, certains le considérant à l’époque comme trop proche de l’Italienne à Alger.

 

L'Orient des Mille et une nuits

 

Mais la vision de l’Orient ne se réduit pas aux barbaresques, qui finiront par être neutralisés après la prise d’Alger. L’Orient, c’est aussi un monde fantasmé, à travers notamment Les Mille et une Nuits dont le texte, traduit par Antoine Galland (1646-1715), offrira de temps en temps des sujets aux compositeurs d’opéra, qui transporteront volontiers leurs spectateurs jusqu’en Egypte (Napoléon est passé par là), et jusqu’à Bagdad.  

 

Le Calife de Badgad de Boieldieu (1800)

Dans l’ouverture, le hautbois rappelle le timbre du Mizmar le hautbois oriental.

Cet opéra-comique fut le premier grand triomphe de Boieldieu. Il fut créé alors que les opéras sur des sujets orientaux étaient en vogue et la musique cherche à donner une couleur locale, en particulier l'ouverture qui accorde une grande place aux percussions « orientales ».

L’œuvre aurait influencé Carl Maria von Weber, particulièrement ses opéras Abu Hassan et Oberon.

 


 

Abu Hassan (1811) de Carl Maria von Weber

Comme l’Enlèvement au Sérail, l'œuvre est un Singspiel dans le style turc. Le livret est inspiré d’un Conte des Mille et une Nuits.


 

Le Barbier de Bagdad (1858) de Peter Cornelius

C’est aussi un Singspiel d'après un livret en allemand dû au compositeur qui s'est basé sur Le Conte du tailleur et les six histoires du barbier et de ses frères, qui appartiennent aux Contes des mille et une nuits.


 

Obéron (1826) de Carl-Maria von Weber (1786-1826)

Oberon, Roi des Elfes, s'est disputé avec sa Reine Titania au sujet de l'inconstance humaine. Pour trancher leur conflit, Oberon met à l'épreuve un couple formé du chevalier franc Huon de Bordeaux, et la fille du grand Calife Haroun al Rachid, Rézia.

 

Djamileh, G. Bizet (1872)

C’est un opéra en un acte de Georges Bizet sur un livret de Louis Gallet librement inspiré du conte oriental Namouna d'Alfred de Musset.

Admirateur de l'œuvre, qui compte quelques très belles pages, Gustav Mahler l'a inscrite à Hambourg en 1892 et l'a dirigée près de vingt fois entre 1898 et 1903 à l'Opéra de Vienne. Richard Strauss s'en serait inspiré pour son opéra Ariane à Naxos.

Nous sommes désormais loin ici des velléités de résistance de Blonde ou Isabella, dans cette œuvre, bien peu « metoo » : Le sultan Haroun, s’est lassé de son esclave Djamileh et a décidé de la revendre. Mais Djamileh est amoureuse d’Haroun et va tout faire pour qu’il la reprenne.


 


 

Sautons encore un demi-siècle pour évoquer la dernière des œuvres créées dans cet esprit :

 

Mârouf, savetier du Caire (1914) d'Henri Rabaud (1873-1949)

C’est sans doute l’un des plus grands succès de l’Opéra Comique durant l’entre-deux-Guerres. L’ouvrage, tombé dans l’oubli, brille pourtant par sa verve comique et loufoque, servie par une musique vive et légère, d’inspiration à la fois debussyste et orientalisante.

Ecoutez l’air de la Caravane : on entend le balancement chaloupé du pas des chameaux et les pierreries étinceler.


 

On trouve au passage un autre exemple de musique orientale dans Iolanta de Tchaikovski (1893). C’est l’air du médecin Ibn Hakia, utilisant comme il se doit la gamme orientale.

 


 

Entre Orient et Occident

Le mythique Orient de l'empire des sens

 

Venons-en maintenant à un orient mythique préislamique… un Orient dominé comme il se doit par la sensualité, contrairement au monde judéo-chrétien qui lui est opposé.

Que de sensualité en effet dans les ballets « orientaux » :

 

Aida, Verdi (1871)

Ecoutez celui d’Aida par exemple... Bien entendu, il n’a rien d’égyptien ancien… cette musique reste de toute façon globalement inconnue à cette époque ! A défaut, et afin de lui de donner un colori « oriental », Verdi se serait inspiré des musiques des derviches tourneurs.

 

Samson et Dalila, Camille Saint-Saëns (1877)

A l’acte III, les Philistins célèbrent de grandes fêtes pour la capture de Samson et offrent un sacrifice à leur Dieu dans le temple de Dagon, ce qui donne prétexte à un ballet, et au passage le plus oriental de l’opéra. Bon... notons aussi qu’une certaine phrase chantante aux cordes, ressemble plutôt à une valse de Vienne, un phénomène que l’on retrouvera dans la fameuse « danse des sept voiles » de Salomé.

Dagon est le dieu des semences et de l'agriculture et donc associé aux rites sexuels liés au printemps.

En 1873, Saint-Saëns, amateur de voyages et de couleurs locales, avait pris des vacances à Alger. La musique arabe qu’il y a entendue lui a semblé propre à suggérer une certaine atmosphère.

 

 

 

Entre Orient et Occident, païens et judéo-chrétiens…

 

L’austère Hébreu Samson (surtout présenté à la mode pudibonde du XIXe) a bien du mal à réfréner ses pulsions face à la sensuelle Philistine… et ce ne sera pas la première fois que cette opposition, très sulfureuse, sera présentée à l’opéra. Les deux exemples les plus frappant de ce « choc des cultures », entre païens et judéo-chrétiens seront mis en musique par Richard Strauss et Massenet. Nous sommes au tournant du XIXe et du XXe : Freud n’est pas loin, et les perversions et obsessions sexuelles obsèdent les foules… même si le pervers n’est pas toujours celui que l’on croit.

 

Le Prince Igor, Borodine - Danses polovtsiennes

A propos de la confrontation entre Orient païen (dévergondé) et Occident (sage), évoquons d’abord un célèbre ballet, illustrant la plus grande byline (chanson de geste) du Moyen-âge russe : le Dit de l’Ost d’Igor. Elle relate la campagne d’un prince russe de la fin du XIIe siècle, Igor, contre les Polovtsiens, peuplade nomade et guerrière d’ascendance turque qui écumait les steppes du Sud-est de la Russie et donne aux Russes un avant-goût de l’invasion tatare…

Cette histoire a été mise en musique par Borodine, fils naturel d’un prince tartare et d’une mère russe… né entre servage et aristocratie, mais surtout entre Caucase et Russie occidentale, tiraillé entre rejet et attraction pour l’Occident.

Ce sont les bases de la civilisation russe : une dialectique conflictuelle du monde slave et de l’Orient.

Le prince Igor subit une sanglante défaite. Il est fait prisonnier des Polovtsiens par le Khan Konchak qui se montre chevaleresque, et l’invite à participer à la fête… qui est une sorte d’orgie dionysiaque de danses…

 


 

Salomé, R. Strauss (1905)

« Votre œuvre est un météore, dont la puissance et l’éclat s’imposent même à ceux qui ne l’aiment pas. Elle a subjugué le public.  J’ai vu un musicien français qui la haïssait mais qui venait l’entendre pour la troisième ou quatrième fois : il ne pouvait s’en dégager ; il grondait mais il était pris. Je ne crois pas qu’on puisse voir une preuve plus manifeste de votre force. Cette force est, pour moi, la plus grande de l’Europe musicale d’aujourd’hui. » Romain Rolland.

Tout est dit… les gens sont choqué mais fascinés par Salomé, le premier chef d’œuvre lyrique de Strauss, qui s’inspire d’une pièce de théâtre écrite en langue française par Oscar Wilde, créée en 1892 à Londres, par Sarah Bernhardt. Mais le sujet fut considéré comme profondément immoral, toute traduction en anglais interdite et la pièce ne s’imposa pas.

L’opéra fut créé à Dresde le 9 décembre 1905, cinq ans après la mort de Wilde… et la création suscita des réactions très contrastées. L’Empereur Guillaume II considéra que l’œuvre faisait preuve de complaisance envers le climat délétère de l’époque et déplora l’absence de mélodie. L’opéra de Vienne refusa de représenter l’opéra « pour des raisons religieuses et morales ». Strauss entra également en conflit avec la cantatrice chargée de la création qui refusa de prononcer les paroles « Je suis amoureuse de ton corps, Jochanaan, laisse-moi le toucher »… même si Strauss avait pris garde de supprimer d’autres phrases encore plus explicites.

Cet opéra est le fruit de son époque, la « décadence » qui voit les débuts de l’expressionnisme et de la psychanalyse. (En 1905, parution de « trois essais sur la théorie de la sexualité » de Siegmund Freud.) On commence à s’intéresser aux profondeurs de l’âme humaine et aux comportements déviants, en particulier sexuels. 

Aux complications érotiques vont se mêler un exotisme oriental qui libère tous les fantasmes.

Beaucoup d’artistes sont alors séduits par la figure de Salomé : Mallarmé (Hérodiade), Gustave Moreau dont la peinture « Salomé » inspira Richard Strauss. Leurs Salomé sont des mélanges de sexualité débridée et de cruauté sadique, symbole de la transgression de la norme et des interdits.

Mais Strauss propose également une réflexion sur la femme, dont la sexualité est vécue comme menaçante par les hommes. Mais ne changent-ils pas en perversion ce qui n’était au départ qu’un désir pur et légitime ?  Salomé est aussi attirée par la pureté de Jean-Baptiste.

L’histoire de Salomé au tournant du siècle diffère de celle de la Bible. Dans les Evangiles, Salomé danse et demande la tête de Jean-Baptiste sur demande de sa mère Hérodiade. Chez Wilde, c’est pour son propre « plaisir » qu’elle l’exige, pour des raisons sexuelles.

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Interlude symphonique : la danse des sept voiles 

Elle a été composée à la fin. C’est un vaste pot-pourri des principaux thèmes et quelques thèmes nouveaux, avec une recherche d’une couleur orientale, un climat sauvage et barbare, une sensualité lourde et alanguie, également pleine de valses, plus viennoises qu’antiques…

 


 


 

Scène Salomé – Iokanaan (Jean-Baptiste)

C’est la mise en présence de deux mondes entre corruption et décadence morale et marée montante du christianisme.

Strauss n’avait aucune sympathie pour le personnage « Iokanaan est un imbécile ».

Sa musique a une tonalité solennelle, au rythme ample et majestueux mais aussi illustrant rigidité psychique du prophète. Iokanaan symbolise lui la victoire de l’esprit sur le corps, qui voit la féminité comme le mal. Le chant de Jean est peu avenant, raide, emphatique.

Salomé, elle, est translucide, pleine de charme, souplesse.

 

 

La scène finale, où Salomé embrasse la tête de Jean, est une scène d’anthologie et d’orgasme pur où son amour peut enfin s’exprimer non sans un certain désarroi de la princesse « si tu m’avais regardée, tu m’aurais aimée »…


 

Thais, Massenet

Opéra en trois actes de Jules Massenet, livret de Louis Gallet, d'après le roman éponyme d'Anatole France, créé à l'Opéra de Paris, le 16 mars 1894.

Thaïs est un des opéras « exotiques » de Massenet, comme Hérodiade, Cléopâtre… Le décor de Thaïs renvoie à une Antiquité à la fois romaine, biblique et orientale, un peu sulfureuse. Le thème exotique offre ainsi tous les ingrédients nécessaires pour faire frissonner les abonnés de l’Opéra en cette fin de siècle : lubricité, sadisme, manipulation, soumission enfantine, prostitution sacrée, culte à Vénus, mysticisme des débuts du christianisme, mélange de colonnes de marbre et de lupanar… Rappelons que dans les esprits du XIXe siècle, Antiquité et Orient sont étroitement liés. Et les compositeurs utilisent la musique orientale, considérée comme « sans âge » et donc parfaitement susceptible de connoter l’Antiquité.

Musicalement, l’œuvre fut jugée assez moderne en son temps, avec notamment des emprunts au système modal pour évoquer à la fois l’exotisme et le système grégorien qui fait référence au christianisme.

L’histoire se situe aux premiers siècles du christianisme, à Alexandrie. Athanaël est un moine soucieux de bien faire, de plaire à Dieu. Personnage fanatique, resté chaste il a refréné ses penchants naturels et se découvre comme un être impur, aveuglé par sa propre passion. Il arrive à Alexandrie pour, prétend-il, convertir la célèbre comédienne Thaïs.

Le livret de l'opéra ne donne aucune mention du passé de Thaïs. On sait juste qu'elle est  la courtisane (pardon, comédienne) la plus en vue d’Alexandrie.

Le contraste entre les deux personnages principaux est remarquable dans la rencontre lorsqu’ils se font face. Apprenant ce qu’il veut, Thaïs défie Athanaël et l’invite à venir la convertir chez elle.


Athanaël apparaît. Elle tente de le séduire, mais il la persuade d’échanger la recherche du plaisir contre une félicité éternelle.

Thaïs se moque de lui mais est troublée. Elle invoque Vénus. Athanaël dévoilant son cilice adjure Thaïs au repentir. Elle repousse Athanaël. Il lui annonce qu’il l’attendra devant chez elle jusqu’à l’aube.

Finalement, Thaïs acceptera de le suivre et mourra de sa pénitence, laissant Athanaël désespéré, réalisant alors que son amour pour elle n’était pas uniquement spirituel…


 

Si vous souhaitez continuez votre voyage musical, je vous invite à consulter mes autres articles :

https://www.levoyagelyrique.com/decouvrir-le-monde-de-l-opera-1

Et notamment : 

https://www.levoyagelyrique.com/blog/l-opera-et-la-bible

 

A très bientôt sur Le Voyage Lyrique !

 

Julia Le Brun



21/11/2021
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