Les séductrices de l'opéra
Les femmes qui ont développé l’art de faire naître le désir et la passion pour parvenir à leurs fins comptent parmi les personnages favoris des compositeurs d’opéra. Elles ont des buts divers : politique, financier, amoureux… mais de manière générale, l’action de séduction a toujours une issue catastrophique pour l’un ou l’autre des protagonistes. L’idée générale qui ressort de l’analyse des diverses œuvres est que ce type de femme est nuisible : ce sont soit des femmes intéressées, soit des femmes faibles soumises à leurs sens... N'oublions pas que la sexualité étant considérée comme dangereuse, voire diabolique, surtout au XIXème siècle. De plus, éveillant chez l’homme le désir sexuel, la femme flatte ses plus bas instincts et représente un obstacle à sa réalisation personnelle et sociale.
Les séductrices prennent différents aspects : jeunes filles amoureuses (Salomé, Zerlina, Manon) ou femmes plus expérimentées (Vénus, Kundry, Dalila), voire courtisanes (Giulietta, Thaïs, Violetta). D’autres sont tout simplement ce que l’on appellerait aujourd’hui des « femmes libérées », prônant la joie de l’amour libre (Carmen, Marietta dans La Ville Morte). Certaines sont amoureuses, d’autres pas du tout, ce sont des arrivistes (Vitellia dans La Clémence de Titus), d’autres sont plus complexes encore… (Poppée, Kundry).
Amour et Fortune – La séduction à l’époque baroque
Le Couronnement de Poppée – Monteverdi (1642)
Cette oeuvre pleine de sensualité nous raconte l’histoire d’une patricienne romaine, modèle de l’ambitieuse, qui devient la maîtresse de Néron et fait tout pour le convaincre de répudier sa femme Octavie… avec succès. Au final, elle est couronnée impératrice et elle chante l’amour en duo avec Néron : Amour et Fortune triomphent. C’est totalement amoral et cela ne choque personne à l’époque. Sexe et sensualité ne sont pas encore considérés comme négatifs et attirent plutôt le public de ce nouveau genre naissant qu’est l’opéra.
Voici le final de cet oeuvre :
Giulio Cesare in Egitto – Haendel (1724)
Même principe : une histoire d’amour entre Cléopâtre et Jules César qui finit bien : elle fleurte avec lui pour s’attirer ses faveurs, devient reine d’Egypte et ils partent main dans la main visiter les pyramides…
Femmes mozartiennes
Mozart fait toujours preuve d’une grande tendresse pour ses personnages féminins, même les plus sordides.
La Clémence de Titus – 1791
Vitellia, furieuse de ne pas avoir été choisie par Titus pour être impératrice, convainc son amoureux Sextus de tuer celui qui est son meilleur ami. Sextus, désespéré, s’exécute : « Quel pouvoir Dieu, as-tu donné à la beauté ! », s’écrit-il. Mais le complot échoue. Tant mieux, car entre temps, Titus a finalement décidé de prendre Vitellia pour femme. Sextus est démasqué mais refuse de dénoncer Vitellia et est donc condamné à mort. Celle-ci, surprise de tant de dévotion est touchée et comprend finalement la passion de Sextus. Dans son air « Non piu di fiori », elle abandonne alors ses aspirations au pouvoir, et pour sauver Sextus, se dénonce à un Titus stupéfait. Sacrifice inutile puisque Titus avait déjà gracié Sextus, mais très émouvant.
Au nom de l’amour
Au nom de l’amour, Susanne dans Les Noces de Figaro, chante à l’acte IV un air d’une grande sensualité (« Deh vieni non tardar »), destiné à Figaro… mais qu’il croit destiné au Comte. C’était une sorte de « cadeau » de Mozart à la créatrice du rôle dont il était amoureux…
Dans Don Giovanni, il semble que l’énergie sexuelle du principal protagoniste s’étende à tous les autres personnages… à commencer par Zerline, qui console son tout nouveau mari Masetto par un air d’une sensualité assez osée : « Vedrai carino ».
User de ses charmes… en toute honnêteté
Certaines femmes rossiniennes n’hésitent pas à user de leurs charmes pour parvenir à leurs fins, sans passer à l’acte bien sûr… C’est le cas d’Isabella dans l’Italienne à Alger (1813) qui profitera habilement de son « succès » auprès de Mustafa pour aider les prisonniers italiens et son fiancé, à s’échapper.
Le XIXème siècle et la sexualité : La femme corruptrice
Samson et Dalila – Camille Saint-Saëns
Samson a été composé de 1868 à 1877 et la première a eu lieu à Weimar en 1877.
Dans Le livre des Juges, XII, Samson était un des Juges d’Israël, à l’époque des Philistins.
Voué à Dieu dès sa naissance il possède une force prodigieuse. Il est Juge sous la domination des Philistins pendant 20 ans, (après avoir tué 1000 philistins avec sa mâchoire d’âne quand il était jeune). C’est à la fin de ces 20 ans qu’intervient l’épisode de Dalila.
Dans l’opéra, le livret ajoute une révolte de l’acte I, qui présente un intérêt dramatique et illustre les aspirations à la liberté du peuple hébreu que leur héros leur permet enfin de réaliser. La révolte intervient alors que Samson, élu de Dieu, est en train de sacrifier temporairement son amour pour Dalila à sa mission divine. Cela crée une situation psychologique complexe. A cela s’ajoute un épisode où un vieil Hébreu maudit publiquement la femme qui n’est là que pour pervertir l’homme, et engage Samson à la quitter, un Samson qui d’ailleurs se sent coupable et a un sentiment très vif de sa faute.
Ce sentiment de culpabilité vis à vis de la sexualité n’existe pas dans la Bible. Ses mœurs sont libres. Il vit en concubinage avec Dalila et personne ne lui en fait grief. C’est un effet de la vision déformante du XIXème de présenter l’amour de Samson pour Dalila comme coupable.
L’acte II voit l’action de séduction de Samson par Dalila qui veut connaître l’origine de sa force pour aider son peuple, dont les récoltes sont détruites et les dieux insultés par les Hébreux. Dans la Bible, elle le fait uniquement pour l’argent.
Dans la Bible toujours, Samson ment plusieurs fois sur l’origine de sa force, pour le plaisir de la duper, de se libérer et de voir leur dépit et leur fureur. Il a très bien compris que Dalila le trahissait. Mais il se prend au jeu, et finit par révéler le vrai secret. Il est alors tout surpris de voir qu’il ne peut se libérer. Il a oublié qui il était dans les bras de Dalila, porté par une sorte de pulsion de mort inconsciente. Il « tombe dans une lassitude mortelle », une sorte de passivité dans les bras de Dalila.
Le Samson de Saint-Saëns semble aussi perdre toute sa vaillance et toute sa force quand il est en présence de Dalila. Il se trouble et soupire en la voyant dès l’acte I. Il se laisse entraîner par ses pulsions et perd tout sens de la réalité.
Le duo est plus sensuel et amoureux que dans la Bible. Il s’agit vraiment ici de céder aux plaisirs (interdits) de la chair. Tandis que dans la Bible, il « craque » par lassitude…
Les Hébreux sont de nouveaux prisonniers et lui en font grief dans la scène poignante de la meule. Finalement, ils seront libérés par l’ultime action de Samson qui est de repousser les colonnes du Temple et de le faire s’écrouler sur les Philistins.
Dans La Bible, ce n’est pas cette « faiblesse » de Samson qui est cause de l’échec et asservissement des Hébreux comme dans l’opéra, vu qu’ils sont déjà sous la coupe des Philistins et ne se sont pas libérés. Au contraire, c’est plutôt « grâce » à l’emprisonnement de Samson que celui-ci aura l’occasion de faire tomber le temple et de libérer son peuple.
Dans l’opéra, la faiblesse de Samson est présentée comme un acte de lâcheté et de démissions à l’égard des compatriotes qu’il vient de libérer et qu’il condamne de nouveau à la servitude et à la prison.
Thais, Massenet - 1894
L’histoire se passe à Alexandrie dans le premier siècle après Jésus-Christ. Le décor de Thaïs renvoie à une antiquité multiple, à la fois romaine, biblique et orientale, un peu sulfureuse. Le thème exotique offre un mélange d’ingrédients nécessaires pour faire frissonner les abonnés de l’opéra en cette fin de siècle : lubricité, sadisme, manipulation, soumission enfantine, culte à Vénus, mysticisme des débuts du Christianisme, mélange de colonnes de marbre et de lupanar.
Thaïs, la courtisane, est lasse de son état. Elle a peur du jour où sa beauté se flétrira et où elle perdra l’amour des hommes. Arrive ce moine Athanaël, qui lui apporte la promesse d’un amour divin et d’une vie éternelle… et elle accepte de le suivre dans le désert, et de s’enfermer dans un monastère pour faire pénitence. Elle meurt rapidement en ayant trouvé la grâce, au grand désespoir d’Athanaël qui réalise alors qu’il l’aimait finalement d’un amour plus terrestre…
Anatole France dénonce le fanatisme religieux, le refoulement du désir et l’ascétisme chrétien dans la personne de Paphnuce (Athanaël dans l’opéra). Sa haine du péché lui sert à refouler sa sexualité, et il est rongé par une jalousie morbide dissimulée sous un désir effréné de purification et de conversion qui relève plutôt d’un désir de posséder Thaïs pour lui seul, désir qu’il est incapable de s’avouer.
Voici le final de l'opéra :
Courtisanes et femmes intéressées
Elles ont le choix entre l’amour et l’argent… et ont parfois du mal à choisir.
Les Contes d’Hoffmann – J. Offenbach – 1881
Dans l’ultime opéra d’Offenbach, son personnage romantique, Hoffmann, tombe amoureux de trois femmes, qui sont trois aspects de la même femme, qui est une cantatrice. La première est une jolie poupée, sans âme, la seconde est une artiste et la troisième, une courtisane, Giulietta. Elle feint la passion, mais avec habileté et l’on peut comprendre que Hoffmann s’y laisse prendre.
Nous sommes à Venise et Offenbach suggère un décor de rêve propice aux enchantements d’une courtisane. L’épisode est tiré du conte Les aventures de la Nuit de la Saint Sylvestre pour la troisième auquel viennent s'ajouter bon nombre d'éléments extérieurs.
La figure du Diable, omniprésente à tous les actes, cherche à damner Hoffmann. Il va donc promettre à la courtisane Giulietta, un beau diamant, si elle réussit à récupérer le « reflet » d’Hoffmann. (Ecoutez l’air pour basse « Scintille, diamant »).
Hoffmann ne tarde pas à céder et chante alors son amour pour Giulietta avec élan et lyrisme : « O Dieu de quelle ivresse ».
Dans le duo qui suit, Giulietta se fait de plus en plus insistante. Il doit partir car il est en danger (un de ses anciens amant, Schlemil, risque de venir). Mais elle exige aussi son reflet « en souvenir de lui ». Lui passionné : « Mon âme et ma vie sont à toi toujours à toi ». Il veut alors s’enfuir mais Schlemil est entré. Hoffmann réalise alors que l’amour le retient près de Giulietta.
Suit un magnifique sextuor avec choeur quand il réalise que Giulietta s’est jouée de lui… et qu’il a perdu son reflet par la même occasion : ! « Hélas mon cœur s’égare encore ». Hoffmann est conscient d’être prisonnier d’un amour fatal. La mélodie est lancée par Hoffmann, les autres voix s’ajoutant peu à peu et le rythme de la barcarolle va peu à peu envahir l’ensemble qui devient irrésistible.
Manon Lescaut
Il existe deux superbes adaptations lyriques du roman, un peu autobiographique, de l’Abbé Prévost « Manon Lescaut » (1731).
Manon – Massenet (1884)
L’opéra de Massenet est créé à l’Opéra Comique. Ce sera son plus grand succès. Ecrit dans un style très classique, voire galant, il rappelle vraiment l’ambiance du XVIIIème siècle.
La jeune Manon est conduite au couvent par son frère Lescaut. Mais son destin sera tout autre puisque sur la route elle rencontre un beau jeune homme qui l’enlève, Des Grieux. Ils filent le parfait amour pendant quelques temps, mais malheureusement l’amoureux n’a pas beaucoup d’argent. Finalement, lasse de vivre dans une mansarde, la belle finit par céder aux sollicitations d’un autre homme, vieux et riche.
Des Grieux, désespéré, décide de rentrer dans les ordres. Mais Manon se languit des baisers de son jeune amant, et vient finalement le chercher jusque dans l’église. Evidemment, Des Grieux lui tombe rapidement dans les bras (duo « n’est-ce plus ma main).
Comme elle souhaite tout de même maintenir son train de vie, elle convainc Des Grieux de jouer… dans une maison louche. L’affaire dégénère et Manon est condamnée à l’exil aux Amériques.
Elle meurt finalement, épuisée ans les bras de Des Grieux, sur la route du Havre… en s’émerveillant de la beauté des étoiles qui ressemblent… à de beaux diamants.
Manon Lescaut – Puccini (1893)
Conscient du succès de la Manon de Massenet, Puccini n’hésite pas à reprendre le sujet quelques années plus tard, déclarant qu’« une femme comme Manon peut avoir plusieurs amoureux ». L’écriture de Puccini est plus capiteuse, sensuelle et sa Manon Lescaut est plus passionnée, plus « italienne ».
La création le 1er février 1893 au Teatro Reggio de Turin constitue le premier grand succès de Puccini, avec huit rappels à la première.
L’histoire n’est pas tout à fait la même : Des Grieux y tient notamment un rôle plus sympathique. Il n’est plus que l’amant éperdu. Il ne fait qu’évoquer le fait qu’il se soit mis à jouer pour elle.
A l’acte II, alors que Manon l’a abandonné, il « débarque » au beau milieu du salon doré dans lequel elle habite désormais, plein de reproches amers. Elle se met alors à ses pieds pour le supplier de lui pardonner… dans un splendide duo d’amour d’une sensualité exacerbée. « Tu, tu, amore, tu… ».
Ils décident finalement de s’enfuir, mais Manon, qui a cédé à l’amour, ne peut pas non plus résister à l’envie de prendre quelques bijoux au passage. Elle tarde trop et se fait arrêter et condamner comme voleuse et débauchée. Elle est envoyée aux Amériques où elle meurt… au milieu du désert dans les bras d’un Des Grieux désespéré.
La réprobation de la société.
Manon, mais aussi Violetta (La Traviata), Magda (La Rondine), sont finalement surtout victimes de la réprobation de la société, même quand finalement, elles choisissent l’amour.
Les femmes dangereuses
Certaines toutefois sont véritablement dangereuses…
Alcina – Haendel – (1735)
C’est une histoire tirée du Roland Furieux de l’Arioste : la magicienne Alcina a créé une île merveilleuse où elle attire les chevaliers… et les transforme en éléments ou animaux quand elle est lassée d’eux. Malheureusement pour elle, elle tombe réellement amoureuse du dernier d’entre eux, Ruggiero, ce qui causera sa perte.
Alcina est « mauvaise » pour deux raisons :
- Elle transforme les chevaliers en pierres, arbres, lions…
- Elle les bloque sur son île et les « efféminise ». Alanguis dans ses bras, ils oublient de courir le monde en quête de hauts faits d’armes, et accessoirement, oublient leurs dames officielles.
Mais c’est aussi une femme amoureuse et finalement assez touchante quand, à la fin, Ruggiero l’abandonne. « Il ne me reste que les larmes » chante-t-elle.
Le chevalier lui-même est triste de la disparition du beau royaume ....
Lulu – Berg - 1935
Lulu décrit l'ascension sociale d'une femme jusqu'au meurtre de celui qu'elle dit avoir le plus aimé, puis sa chute pour devenir finalement prostituée et mourir. Lulu représente la femme fatale, poussée par les hommes à se comporter en meurtrière. Autour d'elle gravitent, puis meurent des hommes, et même une lesbienne, la comtesse von Geschwitz, qui tombera sous son charme jusqu'à attraper le choléra pour la sauver et souhaitera la lutte pour les droits des femmes avant sa mort.
Don Carlos – Verdi – 1867
Eboli, mezzo-soprano, est le second personnage féminin de Don Carlos. Elle est un des plus belles femmes de la cour de Philippe II et elle le sait. Elle est par conséquent devenue la maîtresse du roi… et compte maintenant s’attirer les faveurs de son fils Don Carlos. Mais Don Carlos n’a d’yeux que pour sa belle-mère Elisabeth. Folle de rage, Eboli dénonce Don Carlos au Roi, lui faisant rois qu’il entretient une relation coupable avec Elisabeth, et offrant à Philippe le prétexte qui lui manquait pour faire arrêter son fils. Elle s’en repentira, mais trop tard…
Salomé – Richard Strauss – 1905
La toute jeune fille d’Hérodiade se prend d’une folle passion pour le prophète Jean-Baptiste, emprisonné au palais d’Hérode. Jean-Baptiste est là pour annoncer l’arrivée du Christ et n’a que mépris pour cette jeune femme qui lui parle amour sexuel quand il pense amour de Dieu. Il la repousse malgré toutes ses tentatives. Folle de rage, elle demande la tête de Jean-Baptiste à son beau-père Hérode, et… l’obtient. Elle a donc tout loisir de l’embrasser pendant une très longue scène à la musique envoûtante… et sulfureuse.
Le Val sans Retour
Le Val sans retour est un lieu légendaire du cycle arthurien en forêt de Brocéliande, ainsi qu'un site renommé de centre-Bretagne, dans la forêt nommée administrativement forêt de Paimpont. La légende qui y est attachée, racontée dans le Lancelot-Graal, circulait déjà oralement avant la fin du XIIème siècle. La fée Morgane vit une déception amoureuse avec le chevalier Guyomard qui la repousse à l'instigation de la reine Guenièvre. Elle étudie la magie avec Merlin puis, en représailles, crée le Val sans retour dans la forêt de Brocéliande pour y enfermer les « faux amants », des chevaliers infidèles en amour. Après dix-sept ans, Morgane est déjouée par Lancelot du Lac, resté fidèle à Guenièvre, qui libère 253 chevaliers.
Cette histoire rappelle évidemment celle de la magicienne Alcina, déjà évoquée, qui emprisonne les chevaliers sur une île merveilleuse, c’est l’histoire éternelle de la séductrice qui détourne l’homme de sa mission héroïque, le coupe du monde réel et social et le laisse « s’alanguir » dans la sensualité.
On la retrouve dans d’autres ouvrages, et en particulier dans le Parsifal de Wagner.
Parsifal – Wagner – 1882
Kundry est comme Alcina, immortelle… mais cet état est en l’occurrence le résultat d’une punition : alors qu’elle était Hérodiade, elle a ri devant la souffrance du Christ et est condamnée à errer éternellement, c’est-à-dire à ne jamais quitter le cycle des réincarnations (Wagner a été influencé par le bouddhisme). Le seul homme qui pourra la délivrer est celui qui lui résistera. De fait, elle fait tout pour tenter tous les hommes qui passent… dans l’espoir que l’un d’eux lui résistera.
Le magicien Klingsor avait l’ambition d’intégrer la confrérie du Graal, mais pour cela il devait renoncer au désir charnel. Sachant qu’il aurait du mal, il a décidé de se châtrer. Horrifiés, les chevaliers du Graal ont refusé de l’accueillir. Pour se venger, Klingsor a créé un royaume enchanté, plein de merveilleuses filles-fleurs, qui, attirant les Chevaliers, les rendent en même temps prisonniers des plaisirs charnels et leur font oublier leur vocation de serviteurs du Graal.
Dans cette optique, Klingsor a également « recruté » Kundry, son arme fatale, en la forçant par des charmes à lui obéir.
Las de perdre ses chevaliers, le roi du Graal, Amfortas, décide un jour de détruire Klingsor et ses artifices… mais il tombe dans les filets de Kundry et cède à la tentation charnelle, ce qui lui vaut d’être blessé au flanc, comme le Christ, par sa propre Sainte Lance, souvenir de la blessure du Crist que la confrérie gardait précieusement. C’est une blessure qui ne peut être guérie… que par la Sainte-Lance elle-même, désormais dans les mains de Klingsor. Seul pourra la récupérer, celui qui ne cédera pas au charme de Kundry. Ce sera l’exploit de Parsifal.
Pourtant, Kundry fait tout pour séduire le jeune homme innocent qui se présente à elle : elle lui rappelle la première figure féminine connue, sa mère Herzeleide (« souffrance du cœur »), elle évoque l’amour de sa mère pour son père Gamuret… fait naître lui le remords d’avoir abandonné sa mère et propose finalement de le consoler en un baiser. Mais ce baiser a sur Parsifal un effet inattendu : il comprend, intuitivement à quoi correspondait la blessure et la souffrance d’Amfortas : c’est le désir sexuel. Parsifal perçoit le danger et repousse violemment Kundry… une répulsion qui lui permet de récupérer la Sainte Lance et de détruire le royaume de Klingsor.
Tannhäuser – Wagner - 1845
On retrouve dans l’opéra antérieur de Wagner, Tannhaüser, cette idée que l’amour coupe les hommes du monde, les empêche d’accomplir de grandes choses, de vivre leur vie.
Tannhaüser est un Minnesinger ayant vraiment existé (de même que Wolfram von Eschenbach, auteur d’un Parzifal qui inspira l’opéra de Wagner.) Selon la légende, ce chanteur courtois du Moyen-âge aurait séduit Venus en chantant l’amour. Elle l’aurait alors accueilli chez elle au Venusberg. Mais, chez Wagner, Tannhaüser se lasse finalement du monde fermé de Vénus et aspire à autre chose, veut récupérer sa liberté, retourner dans le monde réel, quitte à souffrir. Mais elle ne cessera toutefois jamais de l’inspirer dans son activité d’artiste.
Le Tannhaüser de Wagner hésite entre l’amour charnel (Vénus) et l’amour pur et chaste (Elisabeth). Il y a une certaine ambivalence de Wagner sur ce thème : il n’arrive pas à se décider, comme son héros.
Vénus ne représente pas seulement l’érotisme débridé, mais aussi la beauté et l’harmonie, ce vers quoi tend un artiste. Ce n’est pas un hasard si le poète de l’amour, le Minnesinger, a cherché sa réalisation sur la colline de l’amour. Mais il a un besoin de changement et de connaissance. Il a fait le tour du monde de Vénus. Il va donc en quête d’un autre monde, le monde de l’esprit symbolisé par Elisabeth et le christianisme. Mais il ne parvient pas non plus à faire allégeance à la société féodale de son temps. Il dénonce également l’hypocrisie de la société chrétienne. (Le Pape est présenté comme un être obtus et incapable de bonté.)
Il veut être pleinement humain (on retrouvera ce thème dans Lohengrin). Il veut l’apollinien et le dionysiaque, l’ivresse et l’équilibre.
Les femmes libres
Carmen de Bizet
Le 3 mars 1875 a lieu la première de Carmen. C’est un échec avec beaucoup de critiques violentes. On est choqué par le réalisme et la description de la vie des prolétaires, leur immoralité (Carmen était pour eux « l’incarnation du vice »), et surtout par la mort tragique du personnage principal sur scène.
Mais d’autres, notamment les musiciens, sont très admiratifs : Tchaïkovski « Carmen est un chef-d’œuvre dans tous les sens du terme », Richard Wagner « Les Français ont encore du talent » et de Nietzsche « C’est un antidote à Wagner ».
Carmen est devenu un des symboles d’un renouveau de l’art lyrique français. Rejetée par la critique, appréciée des musiciens, l’œuvre a connu un succès triomphal hors de France, du fait de la modernité de l’écriture musicale mais aussi d’un travail plus approfondi que de coutume sur le caractère des personnages.
Carmen est une Bohémienne andalouse, mystérieuse au charme sauvage. Dans Mérimée, elle se prostitue, vole, se fait complice de meurtres, c’est un être amoral qui ne connaît que les coutumes de son peuple et méprise de toutes lois. Elle est dotée d’une soif de vivre prodigieuse et d’une grande sensualité. Elle est capable de courage, de mouvements de tendresse, même s’ils sont rares et passagers, elle joue de son charme pour multiplier les amants. On la soupçonne vaguement d’un pacte avec le diable.
La Carmen de Bizet est plus « civilisée » : plus du tout de prostitution, de meurtres, moins d’amants, elle est légèrement moins effrontée et impudique, moins farouche. Elle minaude et évoque les douceurs de la vie à deux. Mais les librettistes conservent le fatalisme superstitieux et le côté indomptable, le rejet de tout joug. C’est un nouveau type d’héroïne d’opéra, une nouvelle forme d’amour.
La Ville Morte, Erich Wolfgang Korngold
Dans cet opéra, la femme, sensuelle, libre et pleine de vie, s’oppose à un homme enfermé dans un deuil et une passion nécrophile. C’est l’homme qui parait malade, et la femme saine.
Il s’agit d’une adaptation libre du roman Bruges-la-Morte de Rodenbach qui était est un symboliste belge. L’opéra est considérablement différent du roman, dans l’esprit plus que dans les détails qui sont respectés. Dans l’opéra, on s’éloigne de l’ambiance éthérée du roman symboliste d’origine qui se finit dans la mort. Korngold a souhaité à la fin le triomphe de la vie (c’était le titre initial donné à son opéra).
Paul, vit à Bruges dans le souvenir de sa femme morte, Marie, quand il rencontre dans la rue le sosie bien vivant de sa femme, Marietta, et engage une relation avec elle… mais qui tourne mal. Il a l’impression d’avoir trompé sa femme décédée, et d’avoir également commis un péché. Lasse de ses reproches, Marietta veut exorciser tout cela en l’étreignant dans la maison de la morte. Il finit finalement par l’étrangler avec les cheveux de la morte. Mais heureusement, ce n’est qu’un rêve…
« Dans le cadre de Bruges l’Endormie, où pèse si lourdement l’influence du Passé, la lutte entre les Puissances du Souvenir et le Désir Poignant de Vivre se poursuit dans le cœur d’un homme ». (Erich W. Korngold). Sa musique est pleine d’une sensualité exacerbée et d’une omniprésente nostalgie plutôt joyeuse et typiquement viennoise.
Son œuvre est caractérisée par la dualité : entre rêve et réalité, vie et mort, présence et absence, corps et esprit, un personnage et une ville. Cette dualité est accentuée par le changement de nom : la femme de Paul est baptisée Marie pour exacerber le mysticisme qui lie le héros à son souvenir. La femme vivante se prénomme Marietta et fait fonction d’antithèse.
« La lutte de la puissance érotique de la femme vivante contre la puissance persistante de l’esprit de la morte, l’idée fondamentale du combat entre la vie et la mort, tout cela m’a attiré ».
Cette petite sélection de femmes « séductrices » à l’opéra n’est, bien entendu, pas exhaustive, mais permet, je l’espère, d’avoir une idée de la manière dont la femme, la féminité et la sexualité ont pu être perçues par les compositeurs et leurs publics à travers les siècles.
Julia Le Brun
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